Nous avons appris le décès de monsieur Martin KABALIRA, ex-aumônier militaire à l’ESO (École des Sous-Officiers) à Butare en 1994, lors du génocide des Tutsi. Réfugié au Congo, il sera ramené en France par des évêques en mission pastorale. Nommé dans le diocèse de Luchon, il résidera dans le sud de la France jusqu’à ce qu’il demande d’être réduit à l’état laïque. C’est à Trappes que nous le retrouverons voici quelques années, engagé au service d’une association dans laquelle il dispensait des cours d’informatique.
Depuis quelques années, nous tentions, mais difficilement, de recueillir des témoignages qui l’auraient mis en cause. Nous n’avions pas encore décidé de nous porter partie civile contre lui.
Cette disparition soudaine nous rappelle que le temps qui passe joue en faveur des bourreaux. Martin KABALIRA sera mort « innocent » devant la justice des hommes. Il est d’ailleurs de plus en plus difficile de trouver des témoins au Rwanda. Près de 23 ans après le génocide, les traces s’effacent, les témoins ont disparu ou ne souhaitent plus parler.
Les juges français en charge des affaires de génocide « au pôle crimes contre l’humanité » viennent d’annoncer la clôture de l’instruction dans une des affaires que nous avons initiée, après avoir décrété un non-lieu en faveur de monsieur Pierre TEGERA. C’est aussi d’un non-lieu dont l’abbé Wenceslas MUNYESHYAKA a bénéficié voici quelques mois. Le CPCR a fait appel de cette décision et nous attendons toujours !
L’année 2016 aura vu la condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité de deux anciens bourgmestres, messieurs NGENZI et BARAHIRA. Ils ont fait appel. Le 3 décembre, la Cour d’appel de Bobigny confirmait la condamnation à 25 ans de prison de monsieur Pascal SIMBIKANGWA. Le combat citoyen que nous menons avec d’autres associations porte ses fruits et mérite d’être soutenu.
De nombreux dossiers sont en attente. Nous attendons avec une certaine impatience d’autres clôtures d’instruction qui déboucheront, nous l’espérons, sur des procès en Cour d’assises. Nous savons aussi que certaines affaires auront du mal à venir au devant de la scène. Qu’en est-il par exemple de la plainte que le CPCR a déposée contre madame Agathe KANZIGA HABYARIMANA? De celle déposée contre monsieur Laurent SERUBUGA, ex-chef d’État major adjoint de l’armée rwandaise ? Sans parler des plaintes qui visent l’ex- préfet de Gikongoro, Laurent BUCYIBARUTA, les docteurs MUNYEMANA, RWAMUCYO ou encore TWAGIRA ? Les victimes ne demandent pas la vengeance, mais la justice, cette justice qui met beaucoup trop de temps à juger.
La disparition subite de monsieur KABALIRA vient nous rappeler que des personnes soupçonnées d’avoir participé au génocide des Tutsi continuent à vivre en France en toute impunité. Plus le temps passe, plus ces personnes risquent d’échapper à la justice. Qui pourra dire qu’il s’agit là d’une situation qui respecte les victimes ? C’est en leur nom, et pour elles, que nous continuerons le combat citoyen que nous avons entrepris. Même si un certain nombre de nos responsables politiques préfèreraient qu’on tourne la page ou qu’on se taise!
Alain GAUTHIER