Confusion et négationnisme sur le rôle de la France au Rwanda

Communiqué de presse de Survie  et du Collectif des parties civiles pour le Rwanda.

Halte à la confusion et au négationnisme pour couvrir le rôle de la France au Rwanda.

Une fois de plus, un responsable politique en fonction en 1994 a entretenu la confusion sur le génocide des Tutsi du Rwanda sans être corrigé par les journalistes qui l’interrogeaient. Vingt-et-un ans après le génocide, de tels dérapages et leur diffusion à l’antenne sans qu’ils soient relevés sont inadmissibles.

Le 31 mai 2015, monsieur Boutros Boutros-Ghali était l’invité de RFI, occasion pour lui de faire le bilan de ses activités en tant que Secrétaire Général de l’ONU de 1992 à 1997.

Philippe Dessaint, de TV5 Monde, interroge l’ancien Secrétaire Général des Nations-Unies sur « un événement qui fera date dans l’histoire », « le massacre au Rwanda : 800 000 morts ». L’expression « génocide des Tutsi » n’est pas employée par le journaliste, et ses deux consœurs présentes, Sophie Malibeaux, de RFI, et Hélène Sallon du Monde, ne corrigent pas cette formulation pour le moins peu rigoureuse.

Dans sa réponse, M. Boutros-Ghali critique l’indifférence de la communauté internationale [1], sans qu’un journaliste ne lui fasse remarquer qu’en tant que Secrétaire Général de l’ONU, la responsabilité de mobiliser le Conseil de sécurité lui incombait au premier chef [2].

Questionné ensuite sur sa « lecture du rôle de la France à cette époque », M. Boutros-Ghali répond : « C’est un rôle extrêmement compliqué, j’ai eu des suites, etc., à cause de l’opération qui a suivi après. Parce que vous avez eu quelque chose que personne ne mentionne : après le génocide des Hutu [sic], vous avez eu le génocide des Tutsi qui se trouvaient dans les camps de Goma [sic]. Et là j’ai demandé à 60 pays d’intervenir pour protéger ces camps. Indifférence totale, personne n’a bougé ».

Le trouble de l’auditeur est extrême. Interrogé sur le rôle de la France, M. Boutros-Ghali glisse immédiatement vers un prétendu « génocide des Hutu » [3]. Les journalistes présents ne font rien pour dissiper la confusion créée par des propos privés de sens. Aucun ne rappelle par ailleurs que la référence à un tel « génocide des Hutu » appartient à la thèse mensongère du « double génocide » et ne repose sur aucun fondement sérieux [4]. Aucun ne s’étonne que, interrogé sur le rôle de la France au Rwanda, M. Boutros-Ghali réponde en évoquant le « double génocide ». Aucun ne mentionne que c’est une thèse très prisée de plusieurs responsables politiques français de l’époque : François Mitterrand, Alain Juppé, Bernard Debré, Dominique de Villepin, Hubert Védrine.

Il est profondément choquant que des journalistes puissent laisser passer de telles affirmations sans tenter de rétablir la réalité des faits. Pareille négligence serait inconcevable concernant la Shoah. La réaffirmation constante de la vérité historique est la seule manière d’empêcher que l’on porte tort une fois de plus aux familles des victimes d’un génocide. Pourquoi cela semble-t-il presque impossible en ce qui concerne le génocide des Tutsi, où les « dérapages » sont incessants : au CNED, sur France 2 [5], sur RFI maintenant ?

Le Collectif des parties civiles pour le Rwanda et l’association Survie continueront de répéter, sans se lasser, qu’un génocide des Tutsi a été perpétré au Rwanda en 1994, que les autorités françaises s’en sont rendues complices, et que justice doit être rendue à l’encontre de ceux qui en ont été les auteurs et les complices.

Contacts presse :

CPCR : Alain Gauthier  00336 40 57 09 44

Survie : Ophélie Latil    00331 44 61 03 25

Notes aux rédactions :

 

[1] M. Boutros-Ghali met en particulier en cause le gouvernement belge qui a retiré ses troupes de la Mission des nations Unies d’assistance au Rwanda (Minuar) suite à l’assassinat de dix para commandos belges.

 

[2] Selon le rapport de la Commission indépendante d’enquête sur les actions de l’Organisation des Nations Unies lors du génocide de 1994 au Rwanda, (16 décembre 1999, ONU, S/1999/1257), « M. Boutros-Ghali était absent de New York pendant une bonne partie de la période du génocide. La Commission d’enquête se rend compte que les secrétaires généraux ne peuvent être présents à toutes les séances du Conseil. Les archives contiennent des câbles quasi quotidiens informant le Secrétaire général du déroulement des événements à Kigali et au quartier général de la Mission, ainsi que certaines des réponses au quartier général, parfois assorties d’observations du Secrétaire général. La Commission en conclut que le Secrétaire général a été tenu au fait des faits nouveaux les plus importants intervenus au Rwanda. Cela étant, le rôle incombant au Secrétaire général vis-à-vis du Conseil dans des situations de crise réelle telles que celle du génocide rwandais, ne peut que dans une certaine mesure être joué par personnes interposées. Si la possibilité de contacts directs entre le Secrétaire général et le Conseil de sécurité dans son ensemble, d’une part, et ses membres, de l’autre, ne s’offre pas, le Secrétaire général ne peut influer sur la prise de décisions au Conseil de façon aussi efficace ou décisive que s’il était présent ».

 

[3] M. Boutros-Ghali fait d’abord visiblement une brève allusion à l’opération Turquoise « qui a suivi après », avant d’évoquer immédiatement un soi-disant « génocide des Hutu ». Il est pourtant historiquement et juridiquement établi qu’il n’y a eu qu’un seul génocide, reconnu comme tel par la communauté internationale : le génocide des Tutsi. Ce génocide a eu lieu au Rwanda, et non dans les camps de Goma, qui abritaient des réfugiés hutu, avec parmi eux de nombreux auteurs du génocide.

 

[4] Cf. « Génocide des Tutsi du Rwanda : un négationnisme français ? », Cités n°57, PUF, 2014.

 

[5] Un livret de corrigés du 25 juin 2013 destiné aux professeurs de français émanant du Ministère de l’Education nationale et propriété du Centre national d’enseignement à distance (CNED) faisait état du « génocide des Hutu par les Tutsi au Rwanda ».

Le 30 janvier 2015, dans l’émission Télé Matin diffusée sur France 2 et animée par William Leymergie, est présenté un ouvrage de Paris Match, sélection de photos publiées depuis plus de soixante ans par l’hebdomadaire français. Le journaliste Damien Thévenot, qui reçoit le directeur de la rédaction de Paris Match, Olivier Royan, pose une première question à propos d’une photo montrant le retour au Rwanda des populations qui ont fui avec les génocidaires en 1994 : « Autre photo choc : 94, le génocide des Hutu par les Tutsi. Cette photo, pourquoi l’avez-vous choisie »? Ce à quoi Olivier Royan répond sans sourciller : « En 94, se passe cet incroyable événement, sous les yeux de la communauté internationale, le génocide rwandais, où la communauté hutu va être entièrement massacrée par les Tutsi ».

  

 

 

 

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