Battre le fer tant qu’il est chaud: lettre au président de la République.

Lettre à Monsieur Emmanuel MACRON, président de la République française, le 14 mai 2017.

Monsieur le Président de la République,

Vous venez d’être élu à la Présidence de la République et c’est la raison pour laquelle je me permets de vous adresser ces quelques mots en tant que président du CPCR (Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda), association créée en 2001 et qui a comme objectif de poursuivre en justice les personnes soupçonnées d’avoir participé au génocide des Tutsi au Rwanda en 1994 et qui vivent sur le territoire français. Je le fais au nom de centaines de milliers de victimes dont nous soutenons la cause.

Au début de la campagne électorale, je vous avais adressé une lettre ouverte signée également par monsieur RWABUHIHI, président de l’ACPCR (Les Amis du CPCR) ONG rwandaise qui partage les sentiments qui sont les nôtres. Ce courrier adressé à tous les candidats n’a eu que très peu d’échos puisqu’une seule prétendante à la législature suprême nous a répondu.

Dans cette lettre ouverte, nous vous posions trois questions concernant le génocide des Tutsi, questions que je me permets de vous rappeler : « Approuvez-vous la décision de la Cour de Cassation qui refuse systématiquement d’extrader des Rwandais vers leur pays et qui sont soupçonnés d’avoir participé au génocide des Tutsi ? (la France est un des rares pays qui a adopté cette position). Quelles mesures compteriez-vous prendre pour que cessent les lenteurs de la justice française dans ces dossiers ? Quels moyens supplémentaires proposeriez-vous de prendre pour permettre au « pôle crimes contre l’humanité » créé en 2012 au TGI de Paris de fonctionner avec plus d’efficacité ?

Peut-être ne le savez-vous pas, mais depuis 1994, près d’une trentaine de plaintes ont été déposées en France pour génocide et complicité de crimes contre l’humanité, dont vingt-cinq par le CPCR, et seulement trois procès ont eu lieu au nom de la compétence universelle : le procès et la condamnation à 25 ans de prison du capitaine SIMBIKANGWA (condamnation confirmée en appel en décembre 2016), et celui de deux anciens maires rwandais, messieurs NGENZI et BARAHIRA, condamnés en juillet dernier à la réclusion criminelle à perpétuité, après un procès de neuf semaines aux assises de Paris. Ces derniers ont fait appel.

Combien de temps faudra-t-il à ce rythme, monsieur le Président, pour que toutes les plaintes que nous avons déposées soient instruites ? Combien de temps faudra-t-il pour que les personnes visées par des plaintes comparaissent devant la justice de notre pays? Sans compter toutes celles que nous sommes susceptibles de déposer encore. Car, vous devez le savoir, le Parquet, à ce jour, n’a jamais poursuivi de lui-même la moindre personne soupçonnée d’avoir participé au génocide des Tutsi. Sans le travail acharné des associations comme la nôtre, plus personne ne parlerait du génocide des Tutsi perpétré au Rwanda voici 23 ans.

Sans compter que les autorités françaises de notre pays n’ont jamais voulu reconnaître la moindre responsabilité des hommes politiques de l’époque dans la commission de ce génocide ! Nous ne cessons pourtant de dénoncer la complicité militaire, diplomatique, financière de l’Etat français de 1994 avec les autorités du Rwanda, le président HABYARIMANA jusqu’en avril 1994 dans un premier temps, le gouvernement génocidaire qui a mené les massacres à leur terme, du 7 avril au 4 juillet 1994 dans un second temps. Ce qui m’amène à vous poser une question subsidiaire : sous votre présidence, comptez-vous rétablir des relations diplomatiques dignes de ce nom avec le Rwanda ? Depuis plusieurs années en effet, au Quai d’Orsay, il semble bien que le Rwanda n’existe plus. L’influence de messieurs VEDRINE et JUPPE y serait-elle encore prépondérante ?

Monsieur le Président de la République, vous avez ce matin-même souhaité « construire une des plus belles pages de notre histoire ». Vous avez rajouté que « la France n’est un modèle pour le monde que si elle est exemplaire ». Cette exemplarité pourrait-elle s’appliquer à la poursuite des personnes soupçonnées d’avoir participé au génocide des Tutsi et qui vivent en toute impunité dans notre pays ? Cette exemplarité pourrait-elle s’appliquer à la transformation des relations avec les pays d’Afrique, dont le Rwanda, dans le plus grand respect de cette région du monde au sujet de laquelle vous avez affirmé que « la colonisation est un crime contre l’humanité » ?

Monsieur le Président de la République, je souhaiterais que ce courrier ne soit pas une simple « bouteille à la mer ». Les préoccupations qui sont les nôtres, et celles des associations qui luttent avec nous, touchent au cœur même de l’humanité, à des crimes imprescriptibles qui ont décimé des familles entières, à des victimes qui ne demandent qu’une chose, « sans haine ni vengeance » comme nous ne cessons de le rappeler, que justice leur soit rendue. Pouvons-nous compter sur votre compréhension active ?

Vous aurez certainement bien compris, monsieur le Président, comme nous le répétons sans cesse, que le temps joue en faveur des bourreaux. Notre impatience est légitime, et notre détermination encore plus. Nous voulons croire en la justice malgré ses lenteurs inexplicables. Merci de donner à cet appel toute l’attention nécessaire. Il en va de la crédibilité de notre pays, « patrie des droits de l’homme », à l’égard des rescapés et de leurs familles auxquelles nous appartenons, à l’égard des autorités actuelles du Rwanda qui depuis plus de vingt ans s’efforcent, contre vents et marées, de reconstruire leur pays, et à l’égard de la communauté internationale, le génocide étant un crime contre l’humanité.

Je vous remercie, monsieur le Président, d’avoir pris le temps de nous lire. A de nombreuses reprises, et ce depuis plus de 20 ans, nous avons déjà alerté la plupart des autorités de notre pays. Leur réponse est toujours la même : « Nous ne manquerons pas de vous tenir informé de la suite donnée à cette affaire ». Et de suite, il n’y en a pour ainsi dire jamais. Si nous sommes entrés dans une nouvelle façon de faire de la politique, pouvons-nous garder l’espoir que justice sera rendue aux victimes du dernier génocide du XXème siècle et ce dans des délais qui ne sont déjà plus raisonnables ? La présence, sur le territoire français, de personnes qui auraient participé au génocide des Tutsi en 1994 nous est insupportable et est un affront aux rescapés et à leurs proches, un affront à la conscience de l’Humanité.

Dans l’attente d’une réponse de votre part, je vous prie de croire, monsieur le Président de la République, en l’expression de mon profond respect.

Alain GAUTHIER, président du CPCR.

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