Procès RWAMUCYO, lundi 7 octobre 2024. J5


Audition de monsieur Aimable RWABUKUMBA, ancien étudiant à la faculté de médecine, cité à la demande de la défense.

Monsieur Aimable RWABUKUMBA est le premier témoin de la journée. Ancien étudiant à la faculté de médecine de l’UNR[1] en troisième année, il connaissait l’accusé. Ce dernier était son professeur du cours d’hygiène et assainissement.

Entre avril et mai 1994, il loge dans la résidence KIZA (« Sauve »), située à côté du Centre de Santé de l’Université (CSUP) où il dit soigner des blessés. Il déclare être arrivé à BUTARE le 6 avril, pour réviser un examen. C’est une pure coïncidence, qui correspond avec le déclenchement du génocide. Il reste jusqu’à mi-mai 1994, date à laquelle son oncle, trésorier de l’UNR, l’emmène en voiture jusqu’à GISENYI, où il demeure caché jusqu’en juillet.

À ce titre, monsieur RWABUKUMBA est largement interrogé sur le génocide à l’UNR. Après quelques contradictions, il déclare s’occuper chaque jour des blessés, qui affluent à partir du 20 avril. Il reste strictement dans sa chambre à la résidence KIZA lorsqu’il n’est pas au CSUP, car il a conscience qu’il est en danger à Butare-Ville. Malgré cette conscience du danger, et malgré le fait qu’il soit enregistré comme un Tutsi sur les listes utilisées par le vice-recteur – un extrémiste avéré – il déclare ne pas avoir été inquiété. Chaque jour, il croise à deux reprises une barrière, à laquelle il présente sa carte d’étudiant. Il précise avoir déchiré sa carte d’identité. Pour expliquer ne pas avoir été indiqué, il dit ne pas présenter le « faciès tutsi ». Monsieur PERON, l’avocat général, lui fait remarquer qu’il perpétue des stéréotypes. Par ailleurs, il assure ne pas avoir eu connaissance des listes établies par les autorités de l’Université. Il reconnaît en revanche avoir été une cible des extrémistes, et précise avoir perdu sa soeur et deux frères dans le génocide.

De manière générale, il déclare n’avoir été témoin d’aucun massacre. Il sait que des personnes ont été tuées à l’arborétum, mais n’a rien vu directement. Par ailleurs, il a remarqué que des blessés disparaissaient d’un jour sur l’autre. Et au témoin de considérer alors que ces blessés étaient enlevés en soirée ou la nuit par les miliciens pour être assassinés.

Interrogé sur les autres étudiants tutsi, il déclare qu’il n’y en n’avait pas avec lui à la résidence. Monsieur le président a lu plusieurs témoignages, notamment celui de madame Diane GASHUMBA, présente au même moment que lui à l’UNR. Le témoin dit connaître une grande partie de ces personnes, sans pouvoir préciser leur sort pendant le génocide. Monsieur le président LAVERGNE a également lu un passage du livre d’Alison DES FORGES, Aucun témoin ne doit survivre[2]. Monsieur RWABUKUMBA assure ne pas avoir été témoin ni inquiété par les rafles d’étudiants organisées par les étudiants extrémistes et les militaires. De la même manière, sa chambre n’a pas été pillée.

Enfin, interrogé au sujet de l’accusé, il déclare n’avoir été témoin d’aucun traitement différencié de sa part des étudiants hutu et tutsi. Il le considère comme très compétent comme professeur, qu’il ne revoit plus avant le début des vacances de Pâques, début avril 1994. De manière générale, il dit ne pas avoir remarqué d’extrémisme chez les professeurs de l’UNR, a contrario de certains étudiants. Monsieur le président remarque que le père du témoin, instituteur, est né sur la même colline que l’accusé, dont le père était également instituteur.

La défense conclut, de manière bien peu élégante: « on reproche à monsieur RWABUKUMBA d’avoir survécu ».

 

Audition de madame Laetitia HUSSON, témoin de contexte, ancienne juriste du TPIR, citée à la demande du ministère public.

N’ayant pas le temps matériel de rédiger le compte-rendu de l’audition du témoin, on peut se reporter pour l’instant à celui que nous avons fait lors d’un procès précédent: madame Laetitia HUSSON dans le procès de monsieur Sosthène MUNYEMANA.

 

Audition de monsieur Jean-François DUPAQUIER, témoin de contexte, journaliste, cité par le ministère public.

« Je souhaite vous parler ici des actes d’Eugène RWAMUCYO sur lesquels j’ai enquêté  depuis plus de vingt ans : sa contribution à l’idéologie et à la propagande du génocide.

Un génocide n’est pas une mince affaire, surtout lorsqu’il s’agit de faire basculer massivement la population dans le passage à l’acte. Il est nécessaire de maîtriser toutes les règles de la propagande et donc de l’idéologie. Pas de génocide sans l’idéologie du génocide. Et pas d’idéologie sans idéologues. Sur ce point, deux dates me semblent à retenir :

En octobre 1990, le regroupement de ces idéologues prend pour nom au Rwanda le Cercle des Républicains Progressistes. Il est fondé à l’initiative de l’historien Ferdinand  NAHIMANA à l’université de Nyakinama, dans le Nord du Rwanda. Cette région constitue le berceau du radicalisme hutu. Eugène RWAMUCYO est né dans la même commune que Ferdinand NAHIMANA. Ce genre de lien local est très fort au Rwanda. Il peut aider à comprendre pourquoi le Dr RWAMUCYO deviendra plus tard le président du Cercle des Républicains Progressistes, un poste à haute responsabilité. En 1990 il n’en fait pas encore partie puisqu’il termine un doctorat d’hygiène sociale en Russie.

Décembre 1990 : c’est la diffusion au Rwanda des Dix commandements du Hutu dans le magazine extrémiste KANGURA[3]. Tous les éléments du racisme anti-tutsi y sont résumés, au point qu’on peut parler d’une sorte de Mein Kampf rwandais.

Journal extrémiste Kangura n°6 (décembre 90)

On découvrira plus tard que son auteur s’appelle Vincent NTEZIMANA. Lui non plus ne fait pas encore partie du Cercle des Républicains Progressistes (CRP), puisqu’il achève son doctorat à l’université de Louvain-la-Neuve, en Belgique.

Au CRP, on trouve des personnes qui seront presque toutes poursuivies et condamnées par la Justice après le génocide : Charles NDEREYEHE, son premier président, Ferdinand NAHIMANA, docteur en histoire, d’abord vice-président, Jean-Bosco BARAYAGWIZA, directeur au ministère des Affaires étrangères, Martin BUCYANA et Théoneste NAHIMANA, qui vont se succéder à la tête du parti raciste CDR[4] ainsi qu’Antoine MISAGO RUTEGESHA, futur 2e vice-président de la CDR, Jean-Baptiste MUGIMABA (futur secrétaire général de la CDR) etc. N’oublions pas Phocas HABIMANA, un homme d’affaires dont nous pensons qu’il a été coopté un peu plus tard, en raison du rôle éminent de son épouse dans l’organigramme du parti unique MRND[5]. Et d’autres intellectuels de haut niveau, dont Vincent NTEZIMANA, « l’inventeur » des 10 Commandements du Hutu.

Trois de ces hommes contrôleront la RTLM[6], dite « Radio-Machette », à partir de son lancement en 1993 : Jean-Bosco BARAYAGWIZA, responsable du comité exécutif, Ferdinand NAHIMANA, responsable éditorial et Phocas HABIMANA, directeur administratif.

Le Cercle des Républicains Progressistes se voulait la matrice de l’idéologie et de la propagande anti-tutsi. Sous son impulsion, le génocide n’aura rien de spontané, ni « d’exotique » comme certains le croient encore.

Est-il besoin de préciser qu’aucun Tutsi n’a figuré parmi les membres du Cercle des Républicains Progressistes ? Aucun Tutsi à la Radio Télévision Libre des Mille Collines (RTLM), un média de masse sans lequel le projet génocidaire n’aurait jamais connu un si terrible succès.

La plupart des hommes que je viens de citer seront à l’origine de la création en 1992 de la Coalition pour la défense de la République et de la démocratie (CDR), un parti politique ouvertement raciste (il refusait les adhésions de Tutsi).

Je reviens brièvement en arrière pour contextualiser les enquêtes auxquelles j’ai participé sur le génocide, son idéologie et ses acteurs. En septembre 1994, le secrétaire général de l’ONG Reporters sans Frontières m’a proposé de participer à une mission d’évaluation du rôle des médias dans le génocide et d’identification des journalistes tués. J’avais obtenu d’y associer mon ami l’historien Jean-Pierre CHRÉTIEN qui comme moi avait dénoncé depuis des années la radicalisation extrémiste d’une frange de politiciens hutu au Rwanda.

Le succès de cette mission a abouti à élargir notre équipe à l’historien rwandais Marcel KABANDA et à un politicien rwandais, Joseph NGARAMBE, pour produire le livre Rwanda, les médias du génocide sous la direction de Jean-Pierre CHRÉTIEN[7]. L’enquête pour ce livre – paru en novembre 1995, soit un an-et-demi après le génocide – a permis d’énormes avancées dans l’identification de l’idéologie génocidaire et de ses acteurs. Quoique cet ouvrage reste presque trente ans plus tard une référence, nous n’avions fait qu’entrevoir la conspiration du génocide. Ainsi on ne trouve dans notre livre qu’une brève mention (p. 335) du Cercle des Républicains Progressistes, et Eugène RWAMUCYO ne figure pas dans l’index des noms.

Par la suite, la Procureure générale du Tribunal Pénal International pour le Rwanda a demandé à notre équipe une expertise autant que possible exhaustive pour préparer ce qu’on a appelé le Procès des Médias. Nous avons bénéficié de la collecte de documents et de témoins par des enquêteurs du TPIR. Nous avons repris nos recherches en particulier à BUTARE. J’ai moi-même trouvé des documents sur le Cercle des Républicains Progressistes et sur le rôle d’Eugène RWAMUCYO avant et pendant le génocide. Pour rédiger ma partie de l’expertise, j’ai été fortement aidé par deux témoignages recueillis en 2001:

  • Premièrement, celui de Emmanuel BUGINGO, alors professeur à l’Université de BUTARE, qui connaissait bien les déclarations d’Eugène RWAMUCYO comme représentant officiel du Cercle des Républicains Progressistes durant le génocide.
  • Deuxièmement le témoignage d’Alphonse KILIMOBENECYO. Comme directeur de l’Imprimerie Scolaire, il avait constaté le rôle de M. RWAMUCYO pour contrôler et au besoin modifier le contenu du magazine KANGURA avant ses impressions.

Notre enquête sur l’articulation de l’idéologie du génocide a laissé des zones d’ombre. Nous devions travailler dans un milieu massivement complice. Si vous le souhaitez je m’expliquerai là dessus tout à l’heure. Il ne nous est pas moins apparu que conspiration du génocide fut le fait d’un groupe restreint d’idéologues (essentiellement regroupés au sein du Cercle des Républicains Progressistes), et aussi de militaires et d’hommes d’affaires qui en constituaient en quelque sorte le volet « opérationnel ». Ce groupe fonctionnait comme une petite Mafia, c’est-à dire une organisation secrète dissimulant son objectif criminel, ne laissant guère de trace écrite, cooptant ses membres et punissant de mort toute possible trahison.

En évaluant à une quarantaine de personnes le nombre d’extrémistes engagés dans cette Mafia, c’est-à-dire dans l’élaboration, à partir de la fin 1990, d’un projet de génocide des Tutsi du Rwanda il me semble légitime d’affirmer que Eugène RWAMUCYO y a joué un rôle de plus en plus important. Aujourd’hui encore, j’ai du mal à comprendre qu’il soit passé sous les radars du Tribunal Pénal International, tout comme un de ses complices au sein du Cercle des Républicains Progressistes, Vincent NTEZIMANA.

Un mot de ce dernier, décrit comme une sorte de lieutenant d’Eugène RWAMUCYO par Emmanuel BUGINGO.

Sous la direction de Jean-Pierre CHRÉTIEN, notre groupe pluridisciplinaire a toujours fonctionné dans une certaine urgence. En 2000, nous nous étions engagés à rendre notre rapport au TPIR pour le 15 décembre 2001. C’est pourquoi le rôle de Vincent Ntezimana nous a échappé. Il était jugé au même moment dans le procès dit « des Quatre de Butare » (avril à juin 2001) par la cour d’assises de Bruxelles[8]. Au cours de ce procès, comme co-accusé de participation au génocide, Vincent NTEZIMANA a été dénoncé par un témoin belge pour avoir lui-même rédigé « Les 10 commandements » sur le campus de l’université de LOUVAIN-LA-NEUVE, où il achevait son doctorat.

Malgré la solidité de la témoin et d’autres éléments le mettant en cause dans la rédaction de ce que j’ai appelé « Le Mein Kampf du Rwanda », les juges ont buté sur l’unicité du témoignage. Concernant le génocide des Tutsi du Rwanda, ce fut en général un problème pour les journalistes, pour les enquêteurs, pour les magistrats, pour les historiens, etc. Le titre de l’ouvrage de référence d’Alison DESFORGES[2] énonce particulièrement bien la difficulté à laquelle elle-même et son équipe ont été confrontés, car la feuille de route des génocidaires  comportait la recommandation suivante : « Aucun témoin ne doit survivre ».

J’espère avoir décrit aussi brièvement que possible les contours de la conjuration du génocide des Tutsi du Rwanda, qui commence selon moi par la diffusion des « 10 commandements du Hutu » et la fondation du Cercle des Républicains Progressistes et s’achève par la tentative de dissimuler le génocide aux yeux de la communauté internationale, à la fois par le ramassage et l’ensevelissement aussi rapides que possible des victimes et par le choix de mots habiles, comme le propose M. RWAMUCYO dans la célèbre réunion du 14 mai 1994 à Butare en présence de Jean KAMBANDA, Premier ministre du gouvernement génocidaire.

Si je devais résumer mon propos d’une seule phrase, je dirai que la présidence du Cercle des Républicains Progressistes était un poste hautement stratégique dans la conspiration du génocide, et que Eugène RWAMUCYO bénéficiait de la confiance de l’ensemble des conjurés, faisant de lui une personnalité de premier plan dans cette entreprise criminelle.

Je vous remercie de votre attention. »

Monsieur le président prend alors la parole pour résumer les propos du témoin qui n’a pas rencontré Eugène RWAMUCYO avant 1994. Une des premières rencontres aura lieu au Sénat français, lors d’un colloque négationniste.

Monsieur DUPAQUIER reviendra ensuite sur l’arrestation de l’accusé au cimetière de Sannois et racontera avec malice la réaction d’Eugène RWAMUCYO: « Je vous reconnais, vous êtes Alain GAUTHIER; » Le témoin se contentera de répondre : « Mauvaise pioche! » L’accusé, visé par un mandat d’arrêt international, passera trois mois en prison en attendant une décision concernant son extradiction. La Cour de Cassation, fidèle à sa jurisprudence, refusera de renvoyer l’accusé dans son pays. Il sera aussitôt remis en liberté. ( NDR. Contrairement à ce qu’a écrit un membre de sa famille récemment en direction des siens, le docteur n’a pas été acquitté ce jour-là puisqu’il n’était pas jugé sur le fond.)

Journal extrémiste Kangura n°6 (décembre 90)Quelques mots ensuite sur les journaux KANGUKA et KANGURA, ce dernier; dans son numéro 6 dont il sera à plusieurs fois question, contenant les Dix commandements des Bahutu ( NDR. À la quatrième de couverture s’étale un grand portrait de l’ami François MITTERRAND.[9])

Sera abordé ensuite le lien entre la RTLM, KANGURA et la CDR, puis le Cercle des Républicains, dirigé au début par la femme de Phocas HABIMANA, directeur de l’ONAPO qui s’occupait de la planification des naissances..
Monsieur le président rappelle que le témoin est engagé dans la lutte contre le négationnisme et rappelle qu’on aurait dû entendre ce jour Charles ONANA qui comparaît devant le Tribunal correctionnel de Saint-Denis pour négationnisme. Son audition a été reportée.

La parole est donnée aux parties civiles. Un des avocats, maître EPOMA, signale que le témoin, réfugié en Côte d’Ivoire, ne serait pas étranger au concept d’Ivoirité. Maître QUINQUIS demande à l’accusé s’il est devenu actionnaire de le RTLM, une radio commerciale au départ, avant de devenir la radio de la haine. L’accusé a acheté une action de 5000 francs rwandais de l’époque.

Allusion sera faite ensuite par maître BERNARDINI concernant Léon MUGESERA.  Son discours incendiaire de KABAYA, en novembre 1992, dans lequel il proposait de jeter les Tutsi dans la Nyabarongo pour qu’ils retournent en Abyssinie fera suite à une rencontre de nombreuses autorités au camp de BUTOTO[10]. Ce discours lui vaudra une condamnation du président HABYARIMANA. Il rejoindra le Canada d’où il sera extradé pour être jugé dans son pays. Occasion donnée au témoin de définir le négationnisme qui intervient à toutes les étapes du génocide.

Maître LAVAL note qu’il est question d’un thème récurrent: le génocide ne serait que l’expression d’une réaction de violence spontanée du peuple majoritaire , théorie qui s’oppose à une lecture contradictoire selon laquelle il serait plutôt le produit d’une entreprise planifiée de longue date. Cest la raison pour laquelle le TPIR a condamné plusieurs accusés pour « entente ». Cette décision aurait été plus facile à prendre si la France, au Conseil de Sécurité, n’avait pas demandé que la compétence de ce tribunal ne concerne que l’année 1994.

Sur question de l’accusation, il est souligné que la RTLM est bien une radio commerciale mais en achetant beaucoup d’actions, BAGOSORA achète le pouvoir. En juillet 1993, la RTLM diffusait des musiques entraînantes, appréciées de la jeunesse. Mais en 1993 tout bascule avec l’assassinat du président burundais Melchior NDADAYE par des militires tutsi. Craignant que le FPR imite les Tutsi du Burundi, la RTLM deviendra la radio de la haine, atteignant son paroxysmeen 1994.

Il resteà la défense d’interroger le témoin. C’est maître MATHE qui s’y colle et interroge monsieur DUPAQUIER sur sa participation à l’ouvrage Les médias du génocide, sur le Journal KANGURA, sur le rôle insignifiant de Hassan NGEZE , le vrai patron étant Anatole NSENGIYUMVA Concernant Vincent NTEZIMANA, le témoin rappelle qu’il était un des membres influents du Cercle des Républicains et ami d’Eugène RWAMUCYO. La radio du FPR, MUHABURA, existait bien, mais n’émanait jamais de discours de haine.

En fin d’audition, le témoin souligne le rôle de François MITTERRAND qui, devenu vieux, malade, alité trois jours sur quatre, était incapable de diriger la France. C’est à lui et à ses services de l’Elysée que le témoin attribue la thèse du double génocide.

Maître MATHE, qui laisse entendre que le témoin est un journaliste d’investigation engagé, lui demande ce qu’il faisait au cimetière de SANNOIS. Monsieur DUPAQUIER raconte qu’ayant appris que Jean Bosco BARAYAGWIZA serait inhumé dans ce cimetière proche de son lieu de résidence, et espérant y faire arrêter Félicien KABUGA, le financier du génocide[11], il avait contacté le maire pour organiser son arrestation. Ce sera finalement RWAMUCYO qui fera les frais de l’opération.

Maître MEILHAC, qui prend à son tour la parole, fait savoir au témoin qu’en diffusant cette arrestation sur une télévision locale il s’était mis en infraction avec la loi sur la liberté de la presse. Monsieur DUPAQUIER finira par dire qu’il a fait son travail de journaliste. Il estimait de son devoir de dénoncer l’auteur d’un crime.

Monsieur le président va mettre fin à cette audience, soulignant que les jurés doivent être un peu perdus, les questions de l’avocat étant « répétitives ». Il donne la parole à l’accusé qui explique dans quelles circonstances il a pu voir le témoin Fortunatus lors de la présentation de son livre.

Avant de clôturer définitivement la journée, il est décidé de visionner l’interview de Jean CARBONARE au Journal de France 2 fin janvier 1993 [12] et un cours documentaire  » Confronting Evil« . La journée se termine vers 17h30.

A noter que les questions de la défense au témoin se sont déroulées après l’audition de Fortunatus RUDAKEMWA qui était entendu en visioconférence. Mais nous avons fait le choix de rattacher cet épisode à l’audition pour plus de clarté.

 

Audition de monsieur Fortunatus RUDAKEMWA, docteur en histoire de l’Église. Auteur de  » Rwanda. A la recherche de la vérité historique. » ( L’Harmattan). En visioconférence depuis le Canada. Cité par la défense.

Comment rentre compte de l’audition d’un prêtre qui exerce toujours son ministère au CANADA et qui a probablement choqué toute la cour avec les propos qu’il a osé tenir? À tel point que même la défense n’a pas jugé nécessaire de l’interroger.

Le témoin, qui ne sait manifestement pas pourquoi il a été convoqué, renonce à faire une déclaration spontanée comme il est proposé à tous les témoins. Monsieur le président va donc lui poser des questions.

Concernant le contexte, le témoin s’empresse de dire que « tous les Hutu n’ont pas tué, tous les Hutu ne sont pas des génocidaires! » ( NDR. Ce que personne ne conteste, d’ailleurs.) Il continue: « Les extrémistes hutu Interahamwe[13] ont massacré les Tutsi et les extrémistes tutsi ont massacré les Hutu et même les Tutsi de leur ethnie (sic) Dommage que ce génocide ait eu lieu. Les conséquences se font resentir jusquà aujourd’hui. »

Pendant le génocide, le témoin se trouvait à ROME depuis septembre 1993, à l’Université Grégorienne. Il avait quitté sa charge de curé de la cathédrale de CYANGUGU. Avant, il avait été vicaire de la paroisse de MIBILIZI pendant une année. De 1982 à 1988, il avait fréquenté le grand séminaire de NYAKIBANDA. Il n’y a pas connu RWAMUCYO. Il reviendra au Rwanda en 2003. Ce qui s’est passé au séminaire de NYAKIBANDA pendant le génocide, il n’en sait rien.  Il recevait « des bribes d’informations », mais c’est surtout par le Père Guy THEUNIS, un Père Blanc belge, qu’il recevait des nouvelles. (NDR. Le président rappelle que le père THEUNIS a été arrêté plus tard à l’aéroport de KIGALI où il faisait escale, incarcéré et renvoyé en Belgique où il ne sera pas jugé. Personnellement, j’étais destinataire des fax que le prêtre envoyait.)

À la question de savoir si le clergé était divisé, le témoin précise qu’il y avait plus de prêtres tutsi que de prêtres hutu. Il n’y avait pas de haine entre eux. A CYANGUGU, les personnes menacées s’étaient réfugiées à la cathédrale, poursuivies par les bourreaux.

À propos des sœurs de SOVU, jugées et condamnées à BRUXELLES en 2001 lors du procès dit « des quatre de BUTARE »[8], le témoin affirme qu’elles ont été acquittées! Et malgré les affirmations de monsieur le président, il n’en démordra pas. D’ailleurs, l’abbé Jérôme MASENGO, qui les avait accusées, leur aurait demandé pardon.

L’abbé SEROMBA, qui avait fait détruire l’église de NYANGE sur les rescapés, condamné à perpétuité au TPIR, a été condmané à tord! ( NDR. Dont acte)

Concernant les massacres à l’église de la Sainte Famille de KIGALI, il ne sait pas grand chose. Ses connaissances, il les tient de l’abbé Joseph MUZUNGU qui a écrit trois ouvrages sur la chronologie des massacres! ( NDR. Jamais entendu parler de Wenceslas MUNYESHYAKA? Jamais des prêtres tués au Centre Christus dès le premier jour, dont plusieurs de nos amis?) « L’Église a tout fait pour que le génocide n’ait pas lieu » continue-t-il. Les politiciens n’ont pas voulu nous écouter. Ce n’est pas l’Église qui a prêché la haine. Tous les prêtres accusés de génocide ne sont pas des génocidaires. Il y avait de bons Hutu et de bons Tutsi dépassés par les extrémistes. Selon les Nations Unies, il n’y a eu qu’un seul génocide, le génocide rwandais. Il y a eu plus de morts hutu que de morts tutsi. » Et d’ajouter: « Il faut se reporter au livre d’Hubert VEDRINE ». ( NDR. Le témoin ne nous épargnera aucune abbération!) Et sur question d’un juré, il déclare qu’il est Hutu mais que sa sœur a épousé un Tutsi et son frère a une femme Tutsi. CQFD!

Le témoin, qui a quitté le Rwanda en 2004 parce qu’il se sentait menacé (il était alors recteur du petit séminaire de CYANGUGU ) pour se rendre en Italie, puis au Canada où il exerce encore aujourd’hui un ministère ( NDR. Quel Evangile peut-il bien enseigner?)

Au moment où l’avocat général s’apprêtait à lui poser une question, le témoin dit qu’il croit avoir aperçu Eugène RWAMUCYO dans la salle et lui adresse ses salutations. Il reconnaît d’autres personnes à qui il adresse aussi un bonjour!

Maître MATHE, probablement sidérée par les propos qu’elle vient d’entendre renonce à lui poser des questions.

L’accusé avait dit qu’ils ne se connaissaient pas. Il finit par reconnaître qu’ils avaient dû s’apercevoir en visioconférence lors de la présentation de son ouvrage que peu de gens ont dû lire.

Si je peux me permettre un commentaire personnel, il est inconcevable qu’un prêtre qui fait preuve d’une telle mauvaise foi, qui profère des mensonges éhontés et des propos négationnistes, puisse continuer à exercer un ministère dans l’Église que, comme tant d’autres, il trahit et déshonore.

D’autre part, je me dois de signaler un incident qui s’est déroulé lors d’une suspension de séance, dans la salle des pas perdus. Un individu s’est présenté à moi, qui se désignait comme rescapé. Il tenait son téléphone à la main et avait commencé à me filmer avant même de m’adresser la parole. Comme il refusait de décliner son identité, j’ai refusé de répondre à ses questions. Le ton est monté, j’ai tenté de m’écarter mais il m’a suivi, tout en continuant à filmer. J’ai fini par lui arracher son téléphone des mains. Un des gendarmes présents, qui nous a séparés, m’a demandé de le lui remettre. Mon « agresseur » est reparti sans demander son reste. L’échange, verbal et violent s’est déroulé en présence de nombreuses personnes: avocats des parties, famille et amis de l’accusé, gendarmes.

Alain GAUTHIER, président du CPCR

Jules COSQUERIC, bénévole

Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page

 

  1. UNR : Université nationale du Rwanda[]
  2. Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Human Rights Watch, FIDH, rédigé par Alison Des Forges, Éditions Karthala, 1999[][]
  3. Kangura : « Réveille-le », journal extrémiste bi-mensuel célèbre pour avoir publié un « Appel à la conscience des Bahutu », dans son n°6 de décembre 1990 (page 6). Lire aussi “Rwanda, les médias du génocide“ de Jean-Pierre CHRÉTIEN, Jean-François DUPAQUIER, Marcel KABANDA et Joseph NGARAMBE – Karthala, Paris (1995).[]
  4. CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992, au moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. La CDR a également une milice, les Impuzamugambi., cf. glossaire[]
  5. MRND : Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement, parti unique de 1975 à 1991 fondé par Juvénal HABYARIMANA, renommé ensuite Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement[]
  6. RTLM : Radio Télévision Libre des Mille Collines – cf. Focus : LES MÉDIAS DE LA HAINE[]
  7. Rwanda, les médias du génocide“ de Jean-Pierre CHRÉTIEN, Jean-François DUPAQUIER, Marcel KABANDA et Joseph NGARAMBE – Karthala, Paris (1995).[]
  8. Procès des « quatre de Butare » en 2001 à Bruxelles : Quatre Rwandais condamnés pour génocide à Bruxelles – Le Parisien, 9/6/2001. [][]
  9. « Appel à la conscience des Bahutu » avec les 10 commandements » en page 8 du n°6 de Kangura, publié en décembre 1990.[]
  10. Léon MUGESERA a été condamné à la prison à perpétuité pour son discours prononcé à Kabaya le 22 novembre 1992[]
  11. Voir notre article : Arrestation de Félicien KABUGA, le « financier du génocide »: une bombe! et ses prolongements jusqu’en 2023 à travers les médias.[]
  12. Le 28 janvier 1993, Jean Carbonare prévient à la fois l’Élysée et le public au JT de 20 heures de France 2: « On sent que derrière tout ça, il y a un mécanisme qui se met en route. On a parlé de purification ethnique, de génocide, de crimes contre l’humanité dans le pré-rapport que notre commission a établi. Nous insistons beaucoup sur ces mots. »[]
  13. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[]

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