Affaire Rafiki Nsengiyumva: suite et bientôt fin.

Audience sur le fond du 28 novembre 2012.

Mercredi 28 novembre 2012 s’est tenue au TGI de Paris la dernière audience concernant l’extradition de monsieur Hyacinthe Rafiki Nsengiyumva. Madame Boizette, la présidente, ouvre la séance. Au cours d’un long exposé, elle rappelle l’état de la procédure et évoque une nouvelle fois les pièces versées au dossier. Il serait fastidieux de faire un compte-rendu exhaustif de son intervention qui porte essentiellement sur la constitution du dossier, les chefs d’accusation, les actes prescrits… Elle rappelle surtout les nombreuses questions posées au Rwanda lors de la procédure, questions qui ont été rarement suivies de réponses satisfaisantes. Elle s’étonne que la demande d’extradition n’ait pas été formulée par un membre du gouvernement rwandais, comme la demande a été faite à plusieurs reprises. Elle n’a pas réussi à savoir non plus quelles seraient les juridictions compétentes pour juger monsieur Nsengiyumva s’il était extradé. Pas plus de certitudes concernant les conditions de l’exécution des peines, en particulier ce qui touche à la peine d’isolement en cas de condamnation. La question des « actes interruptifs de prescription » n’a pas non plus trouvé de véritable réponse.

Aux deux questions posées aux autorités françaises (monsieur Nsengiyumva a-t-il déposé une demande auprès de l’OFPRA et est-il visé par des poursuites en France?), la réponse à la première question est négative, la seconde positive (plainte déposée par le CPCR en date du 5 janvier 2012).

Madame Boizette continue l’exposé des faits en rappelant que « le fait essentiel reproché à Rafiki » (elle a demandé d’utiliser ce nom en début d’audience pour se simplifier la tâche) « est la propagation d’un message radiodiffusé au cours duquel monsieur Nsengiyumva avertissait les Tutsi et le FPR qu’ils seraient exterminés s’ils ne déposaient pas les armes » (sic). Pour ajouter un brin « d’humour », en évoquant les nombreuses modifications du code pénal rwandais, elle souligne que dans ce domaine « la France est battue ».

Concernant les actes interruptifs de prescription, elle en évoque deux:

     – la publication au JO du 19 mars 2001 d’une liste de suspects recherchés, liste qui remplace celle d’août 1996. Le nom de Nsengiyumva figure sur cette liste.

     – le Rwanda ne transmet que des témoignages recueillis par le TPIR, photocopiés et qui plus est non certifiés conformes! Ces actes peuvent-ils vraiment être considérés comme des actes interruptifs de prescription?

Madame Boizette termine son intervention en évoquant les réponses aux questions concernant les peines et leur application, rappelant au passage la position de l’avocat général qui est défavorable à l’extradition.

C’est au tour de l’avocat du Rwanda, maître Paruelle, de prendre la parole, malgré, comme il le rappelle, « son statut bâtard » dans ces audiences d’extradition. Il souligne le fait que monsieur Nsengiyumva n’est pas du « menu fretin » mais un ministre du gouvernement intérimaire dit aussi « gouvernement génocidaire ». Et pour souligner les responsabilités de ce gouvernement dans le génocide, il cite le plaider coupable devant le TPIR du premier ministre de ce gouvernement, Jean Kambanda. « Monsieur Nsengiyumva est particulièrement impliqué dans ce génocide », martèle-t-il. Des faits précis sui sont reprochés. Si c’estle procureur général Ngoga qui signe les demandes d’extradition, c’est en conformité avec le code de procédure pénal du Rwanda. Le Rwanda ne peut pas modifier sa constitution sur la simple demande de la Cour en charge de l’extradition.

Maître Paruelle tente de répondre point par point à toutes les questions évoquées par madame Boizette concernant les modalités d’exécution des peines, le contrôle de l’Etat français sur l’application des peines pour le cas où monsieur Nsengiyumva serait extradé, les conditions de détention au Rwanda. Il sugère, pour terminer, que la Cour se prononce en faveur de l’extradition ou formule une nouvelle demande d’information.

Monsieur Lecomte, l’avocat général, s’insurge alors contre l’évocation d’une nouvelle demande d’information. « Le Rwanda avait le temps de fournir les documents demandés. On a beau examiner ce dossier par tous les bouts, il souffre d’incohérence ». De plus, ajoute-t-il en substance, les documents émanent toujours du procureur et non du gouvernement rwandais comme la Cour l’exige. « Une demande d’extradition est un acte de gouvernement: voilà la difficulté majeure dans cette affaire ». Il ajoute que c’est une habitude, et que les actes d’accusation et les mandats d’arrêt sont établis postérieurement aux demandes de compléments d’informations: »Fichue habitude de modifier les règles en cours de procédure ». Il refuse donc toute nouvelle demande d’information: « C’est trop tard! ». L’avocat général rappelle son opposition à l’extradition tout en soulignant que, concernant l’exécution des peines, deux textes se contredisent. La demande « n’est pas conforme aux exigences françaises, même si les faits reprochés sont graves » ajoute-t-il pour terminer.

Parole est ensuite donnée à l’avocat de la défense. Il souligne que « si monsieur Nsengiyumva était un criminel du plus haut niveau, pourquoi le TPIR ne l’at-il pas jugé? » Il déclare que le « gouvernement intérimaire n’est pas un gouvernement génocidaire puisque quatre ministres de ce gouvernement ont été acquittés au TPIR. Il va ensuite s’en prendre longuement à monsieur Ngoga qui est l’homme à tout faire: il dirige les enquêtes, délivre les actes d’accusation, les mandats d’arrêt internationaux… Il cumule les compétences, et  ajoute, on se demande pourquoi,  que c’est « un Tutsi de l’Ouganda »!  On peut douter de la neutralité de monsieur Ngoga qui va jusqu’à  permettre à monsieur Gauthier et à son épouse d’enquêter au Rwanda. Il dénonce les poursuites qui, pour lui, « sont politiques », critique le comportement des autorités judiciaires rwandaises, rappelle que l’on a confondu dans ce dossier Rafiki Nsengiyumva avec Anatole du même nom, acquitté par le TPIR. Il dénonce à tout va et monsieur Ngoga et le président Kagame qui critiquent tous les Etats et les instances internationales quand ces juridictions ne vont pas dans leur sens. Et pour bien prouver que le Rwanda est une dictature, il évoque le cas de monsieur Gahima, ancien procureur, qui a dû quitter le pays pour se réfugier aux Etats-unis.. La peine de mort a bien été abolie au Rwanda, mais à en croire Amnesty International, il existe des « exécutions extra-judiciaires ». Il termine en demandant aux magistrats de ne pas extrader « vers ce pays extrêmement sympathique ».

Parole est donnée à monsieur Nsengiyumva qui se contente d’évoquer l’existence des listes de génocidaires recherchés pour dire que ces listes n’existent que pour s’accaparer les biens de ceux qui ont quitté le Rwanda. Il n’y a pas de dossier qui le concerne au Rwanda.

La décision est mise en délibéré au 19 décembre 2012. (le même jour que Vénuste Nyombayire)

 

 

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