Affaire Ntawukuriryayo : audience du 7 novembre 2007

Mme Boizette, la présidente, rappelle qu’on est là pour juger sur le fond la demande du TPIR, évoque rapidement les chefs d’accusation et demande à la défense si elle peut se dispenser d’entrer dans les détails. La défense donne son accord.

Intervention de Dominique Ntawukuriryayo

« A Carcassonne, je n’avais pas d’avocat. J’ai demandé un interprète pour essayer de comprendre (note : ce qu’on lui reprochait), et ça ne m’a pas plu. Je conteste tous les faits qui me sont reprochés. Ce sont mensonges, calomnies, déstabilisations de ma famille. Je souhaiterais être jugé par les juridictions françaises auxquelles j’ai confiance. Je ne crains pas la justice. Si le TPIR m’avait appelé au moment de l’acte d’accusation, je me serais présenté. Maintenant j’ai peur… d’être envoyé au Rwanda où je ne peux pas avoir un jugement équitable. »

Mme Boizette énumère les éléments du dossier et en souligne quelques faiblesses, mais sans trop insister. C’est une simple analyse des pièces versées au dossier. Elle évoque le « mémoire » remis par les avocats de la défense et répond à leurs craintes :

  • Kigali n’a pas demandé officiellement Ntawukuriryayo.
  • Un Collectif de parties civiles a déposé des plaintes fin octobre 2007. Cette procédure pourrait permettre que Dominique Ntawukuriryayo soit jugé en France.

Intervention de l’avocat général

Etude sur la forme
Il rappelle qu’il s’agit d’étudier « la demande d’arrestation aux fins de remise au TPIR ». Il faut étudier cette demande au regard des lois françaises qui sont claires (Loi du 22 mai 1996). Le dispositif est légal et clair. Dans la demande du TPIR, il n’y a pas « d’erreur manifeste ». Le dossier est meilleur que les autres (note : Munyeshyaka et Bucyibaruta). Si certains documents sont des copies certifiées conformes, c’est normal, le TPIR garde les originaux. Il est vrai que l’acte d’accusation en français n’est pas daté, mais au TPIR on parle Anglais (note : l’acte en Anglais est daté). Nous avons un acte d’accusation validé par le juge du TPIR. Il finit par reconnaître qu’il y a dans le dossier des « omissions non substantielles » Il n’y a donc pas de motif, sur la forme, de demander un complément d’information.

Etude sur le fond

  • « Le dépôt de plaintes du 30 octobre déposé par un Collectif ne peut stopper la demande du TPIR, cette plainte étant trop récente.
  • Le Rwanda n’a pas fait de demande officielle d’extradition, le ministère de la Justice l’a précisé.
  • Le TPIR ne s’est pas trompé en faisant allusion à l’article 40 de ses statuts (note du rédacteur : je ne suis pas sûr de l’article) car le mandat d’arrêt s’adressait à tous les pays membres des Nations Unies.
  • La défense met en cause la justice du TPIR ? Ce serait dangereux que l’autorité judiciaire française… (Note : l’avocat général ne termine pas sa phrase) Paris n’a pas à émettre un jugement de valeur sur le TPIR et ne peut pas dire que le TPIR s’est trompé.
  • L’acte d’accusation est valide. Le TPIR est compétent.
  • En réponse à la défense qui prétend que « Dominique Ntawukuriryayo va être privé d’un procès à Arusha », il répond que ce n’est pas certain que le TPIR cesse ses activités en 2008 (note : en faisant mention de 2010, il se trompe car il ne précise pas que cette date concerne les procès en appel).
  • Il serait mal venu de demander au TPIR son plan de travail (note : son calendrier).
  • Crainte de la défense que Ntawukuriryayo soit envoyé au Rwanda ? C’est légitime mais d’après ses informations, le Rwanda est sur monitoring du TPIR.
  • En rappelant l’article 11 bis qui dit que « le TPIR pourrait saisir des juridictions nationales, il rappelle la « compétence exclusive du TPIR » et redit qu’il serait « déplacé de demander ses intentions au TPIR. »

En conclusion, « selon la loi française, il n’y a aucun problème pour remettre Dominique Ntawukuriryayo au TPIR. Il y a un acte de coopération entre la France et le TPIR » Il termine en marmonnant : « Ce débat de fond m’inquiète. », sans expliquer ce qu’il entend par là.

Intervention de François Roux, pour la défense

  • Il rappelle qu’au TPIR on y fait du bon travail et qu’on est même condamné à l’excellence.
  • Il reconnaît que le dossier est plus rigoureux (note : que les deux précédents), mais que tout n’est pas parfait. S’adressant à la Cour : « Vous allez faire preuve très utile en rappelant au TPIR qu’il y a des règles et qu’on les applique. »
  • Contestant l’avocat général, il rappelle qu’au TPIR on s’exprime en Anglais et en Français et qu’il « est donc inadmissible que l’acte d’accusation en français ne porte pas de date, que ce ne sont pas, comme le prétend l’avocat général, « des omissions non substantielles ». Et de tonner de nouveau contre le TPIR : il y a beaucoup trop d’approximations de la part du TPIR, trop de lenteurs dans les procédures car il faut aller chercher les témoins à décharge très loin, ce qui prend beaucoup de temps et d’argent.
  • Il réaffirme que le TPIR fermera bien fin 2008, et en 2010 pour les procédures en appel. Il relit à ce propos la lettre de Moses (page 11, chap.6) à propos du renvoi de certaines affaires devant les juridictions nationales.
  • Il rappelle qu’il y a 4 demandes de renvoi au Rwanda.
  • Il redit que Dominique Ntawukuriryayo ne pourra pas être jugé par le TPIR et qu’ils ne veulent pas que le dossier soit renvoyé au Rwanda.
  • Il évoque de « lourds débats politiques en ce moment », sans en dire davantage.
  • Il s’appuie sur les récentes déclarations d’Amnesty International et de Human Right Watch pour refuser tout transfert au Rwanda.
  • Il suggère enfin à la présidente de « se transporter à Arusha », qu’il veut bien l’accompagner et lui présenter tous les responsables du TPIR.
  • Il rappelle que ce dossier doit rester en France. D’ailleurs, des plaintes ont été déposées en France et les parties civiles ont intérêt aussi à ce que le dossier reste en France. Il rappelle au passage que les parties civiles sont absentes à Arusha.

Intervention de Thierry Massis, pour la défense

Le TPIR n’est pas « une princesse intouchable » (note : réponse à l’avocat général qui soulignait qu’il serait mal venu de demander des informations complémentaires). Il rajoute qu’il y a là « un enjeu fondamental de liberté publique. L’enjeu, c’est Kigali. »
A ce jour, on ne connaît rien de l’évolution du dossier.
Il y a des risques de torture au Rwanda (cf. la prise de position d’Amnesty.) Il souligne que le départ pour Arusha sera irréversible.
Il termine en disant qu’il « faut craindre le caractère non équitable du procès car on ne sait pas où le procès aura lieu. »

Intervention de Philippe Greciano, pour la défense

« Je suis en colère (note : le répète plusieurs fois). C’est un dossier chaotique, pas complet, pas daté…On essaie de vous museler parce que vous serez trop curieux ! (note : allusion à des demandes d’informations complémentaires). Il y a des lacunes inexcusables, un fossé abyssal entre Paris et Arusha. Nous craignons que Dominique Ntawukuriryayo se retrouve à Kigali. Notre devoir est de savoir quelle est l’intention du TPIR ».
Il rappelle que Dominique Ntawukuriryayo est en situation régulière en France.
Il souligne qu’il faut être « vigilant », que le « TPIR a été créé parce que le Rwanda n’était pas capable de juger ces prétendus criminels. »
Il termine en disant : « Nous demandons des pièces complémentaires, un complément d’information. Dominique Ntawukuriryayo ne doit pas être kidnappé par le TPIR. Nous devons rendre une justice équitable. »

Intervention de Dominique Ntawukuriryayo

Il demande à nouveau d’être jugé en France. Il y a une erreur dans l’acte d’accusation du TPIR qui évoque l’année 1993 alors que seule l’année 1994 doit être prise en compte. Il rappelle qu’il a été mis en prison à Carcassonne sans avoir pu être assisté d’un avocat.

Question d’un conseiller :
Pourquoi avoir quitté le Rwanda ?

Réponse :
Dominique Ntawukuriryayo bafouille, évoque la situation des expatriés et finit par ajouter : « Le pays était en guerre. Quand on a peur, on essaie de se sauver. »

Question de la Présidente :
« Vous êtes parti en 2000 ou avant ? »

Réponse :
Dominique Ntawukuriryayo bafouille de nouveau pour finir par dire qu’il est parti en 1994.

Question :
Et entre 1994 et 2000 ?

Réponse :
« J’étais dans les transes, dans l’inconnu…. Je ne savais plus où j’étais. Je suis allé au Zaïre, puis en Afrique de l’Ouest (note : ne précise pas que c’était au Togo où il se faisait appeler Dominique Ntawukura) et en France. »

L’affaire est mise en délibéré jusqu’au 14 novembre.

Compte-rendu rédigé sous la seule responsabilité d’Alain Gauthier.

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