L’audience du 6 février devait être consacrée à l’étude de la demande d’extradition vers le Rwanda pour Isaac Kamali. Or, cette affaire, qui était pourtant au programme de la Chambre d’accusation, n’a pas été traitée, sans qu’on ait pu obtenir d’explication. Par contre, contre toute attente, et seule la défense devait être au courant, c’est Dominique Ntawukuriryayo qui comparaissait devant la même Chambre d’Instruction mais dans une autre composition. Je n’ai pas pu obtenir le nom des trois nouveaux magistrats.
Le président de la Cour rappelle les faits pour lesquels Dominique Ntawukuriryayo comparaît, ainsi que les chefs d’accusation contenus dans l’acte d’accusation du TPIR.
Dominique Ntawukuriryayo demande alors la parole et précise :
« A Carcassonne, je n’étais pas assisté d’un avocat quand j’ai comparu devant le Procureur, ni devant la police. Je conteste en bloc tous les faits qui me sont reprochés, ma conscience est tranquille. Je souhaite être jugé par les juridictions françaises auxquelles j’ai confiance. »
L’avocat général, Monsieur Lecomte, rappelle alors ce qu’est le TPIR, évoque la loi de compétence universelle en France mais rappelle la primauté du TPIR sur les instances nationales. Il rejette l’une après l’autre toutes les objections que les avocats de la défense ont mises en avant dans le mémoire qu’ils ont remis. Il fait preuve cependant d’une méconnaissance du TPIR lorsqu’il avance que la fermeture du Tribunal Pénal International pour le Rwanda n’est annoncée que « par une agence que personne ne connaît », l’Agence Hirondelle, alors qu’il s’agit d’une décision du Conseil de Sécurité… Il parle aussi du CPCR comme d’un « Collectif de réfugiés tutsi »… Il rejette le fait que la Cour n’aurait pas respecté les délais dans la procédure (Dominique Ntawukuriryayo aurait dû être convoqué dans un délai de 16 jours maximum après la décision de la Cour de cassation). Il demande à la Cour de ne pas se ranger aux arguments de la défense car ce serait s’ériger en contrôleur du TPIR. La Cour ne doit pas censurer le TPIR. Laisser dire enfin à la défense que si on remet Dominique Ntawukuriryayo au TPIR c’est le condamner à être remis au Rwanda, c’est « faire un procès d’intention au TPIR ».
Il termine sa plaidoirie en demandant à nouveau la remise de Ntawukuriryayo au TPIR.
François Roux, avocat, prend la parole. Il rappelle les différents problèmes soulevés par l’acte d’accusation du TPIR, mentionnés dans leur mémoire, arguments que l’avocat général a réfutés.
- L’acte d’accusation du TPIR parle à deux reprises de faits qui se sont produits « au milieu de l’année 1993 ». Or, le TPIR ne peut juger que de faits qui se sont déroulés entre le 1 janvier et le 31 décembre 1994. (voir acte : page 4 ligne 12 et page 8, § 23 ligne 19).
« Gros problème ! » s’écrie l’avocat. - Il s’agit d’un acte d’accusation de mauvaise qualité, pour preuve le point n°1.
- A propos de la procédure d’achèvement du TPIR, « il n’y a pas que l’Agence Hirondelle qui l’affirme ».
- Demander à une Chambre de Paris de se prononcer sur cette remise au TPIR, c’est se moquer du monde car le TPIR est en train de transférer 5 dossiers. Il appuie aussi son argumentation sur le fait qu’André Guichaoua, « notre adversaire au TPIR », a recommandé de ne pas envoyer des gens se faire juger au Rwanda. Enfin, contrairement à l’ex- Yougoslavie, le Rwanda a refusé des juridictions mixtes pour juger des dossiers qui seraient remis à la justice rwandaise. L’avocat conseille même aux magistrats français de se transporter au TPIR pour voir comment ça se passe. « Prenez du recul devant l’acte d’accusation du TPIR », ajoute-t-il. Il termine sa plaidoirie en disant : « Cet homme n’a pas de sang sur les mains ».
Massis, avocat
Il rappelle que cette demande d’extradition du TPIR est « une affaire lourde », qu’au Rwanda « les droits de l’Homme ne sont pas respectés », que « le TPIR ne le jugera pas ».
- La procédure est caduque puisque les délais n’ont pas été respectés. Contrairement aux dires de l’avocat général, « il n’y a pas de vide juridique » : la saisine doit être faite dans les 16 jours.
- Le mandat du TPIR ne comporte pas tous les éléments. Il n’y a pas de réquisitoire du Procureur.
- Le mandat est sans objet car on vise des faits de 1993. Et puis il s’agirait d’une procédure de « transfert détourné vers Kigali ».
- Il y a de vrais enjeux. La fermeture du TPIR est une décision du Conseil de Sécurité et non de l’Agence Hirondelle. Il rappelle qu’il y a un « risque énorme de transfert au Rwanda ». Ce serait « une atteinte aux droits de l’Homme, à un procès équitable ».
- De plus, il y a une information ouverte en France : inutile donc de transférer Dominique Ntawukuriryayo au TPIR
- « Refusez le mandat de remise » dit-il enfin aux magistrats.
Dominique Ntawukuriryayo
« J’ai quitté mon pays sous les menaces de mort, en quête de paix. Je suis arrivé en France en 1999. J’ai donné de mon temps dans des associations… M’envoyer à Arusha, c’est me projeter dans un vide… vers la mort. Je ne crains pas la justice. Je suis innocent, ma conscience me défend. »
Délibéré remis au 20 février 2008.
Étude de la demande de mise en liberté déposée le 18 janvier 2008
Les avocats affirment à nouveau que le délai de 16 jours entre l’arrêt de la Cour de cassation et la comparution de ce jour étant dépassé, la détention de Dominique Ntawukuriryayo est arbitraire. Ils demandent la levée d’écrou immédiate. Ils annoncent aussi qu’un décret vient d’être pris qui attribue la nationalité française à Mme Ntawukuriryayo.
Ntawukuriryayo reprend la parole. « La colline de Kabuye, je n’ai jamais été là. L’expert Guichoua, expert de Butare, n’a jamais mentionné mon nom dans son livre à propos de Kabuye. Ces faits ne sont pas très graves parce que je n’y suis pour rien. Je suis un rescapé de ces massacres. J’ai été arrêté… par chance, avant de me couper la tête quelqu’un a dit : « Avant de le tuer, allez tuer tous les Tutsi qu’il cache ». J’ai été humilié et ils m’ont laissé la vie sauve. L’équipe (de mes agresseurs) était dirigée par une autorité. J’assurais la sécurité des gens de Gisagara. Grâce à ma présence, tous les gens qui habitaient autour de moi ont eu la vie sauve… Il y a des Italiens, des Allemands qui viendront témoigner pour moi… »
L’avocat général reprend la parole pour revenir sur la mention de l’année 1993 dans l’acte d’accusation du TPIR : « Moyens pas pertinents car les faits commis l’ont été essentiellement en 1994. » Reste toujours la question de la représentation : DN peut quitter la France…
Ntawukuriryayo reprend la parole. « Je suis connu par toute la ville de Carcassonne, je suis connu par le Maire, mon association est connue. Des attestations émanant de l’évêque de Carcassonne et autres instances sont à nouveau mentionnées… Il y a plus de douze associations dans lesquelles je fais du bénévolat….. Je ne peux pas quitter la France… »
Suspension de séance pour le délibéré.
Résultat : Dominique Ntawukuriryayo est maintenu en détention.